Une journée particulière

2013

Ténor, récitant et piano

20 mn

Livret : textes écrit par plusieurs détenus de la Maison d’arrêt du Val d’Oise et poèmes de Victor Hugo (extraits des Contemplations).

Première audition : 16/10/2013, Maison d’Arrêt du Val d’Oise (Festival d’Auvers-sur-Oise) – Mathias Vidal (ténor), Lionel Pascal, (récitant), Thierry Escaich (piano).

Éditeur : inédit. 

La partition est inspirée des textes suivants :

J’ouvre
la fenêtre

pour voir l’époque
c’est merveilleux
éblouissant
terriblement beau
ne reviens pas
certainement


Pour venir chez moi, faut vouloir me voir, la route est souvent trouble, la fatigue te gagnera en cours de route mon fils.
Suis le chemin de l’espoir, crois-moi, ce n’est pas la route la plus simple à suivre, ne la perds pas des yeux, tu verras une forêt noire, sombre, enseveli dans le brouillard du matin.
Chose bizarre : pour venir chez moi, la route n’existe pas, je suis là avec toi, ne me cherche pas, trouve-toi.
Dans nos coeurs nous vivons ensemble dans cette maison où l’amour est roi.


C’est quoi la prison ?
C’est le début d’une nouvelle vie
C’est la pluie qui fait le beau temps
C’est un ingrédient qui donne du goût, de la saveur et qui est piquant
un produit stupéfiant

En sortant de la gare, tu trouveras une épicerie sur ta droite, tu n’auras qu’à prolonger la route. Pour t’aider à te repérer, tu passeras ensuite près d’une pharmacie et de la Banque postale.
Prends à gauche, tu tomberas sur une cité où les bâtiments sont grands et insalubres.
Tu ne peux pas te tromper

Il se lève à six heures du matin
Il s’assied sur son lit
Il enfouit sa tête dans ses bras
Il jette un coup d’oeil par la fenêtre
Il se dirige vers la cuisine
Il ouvre son frigo
Il le referme
Il se dirige vers la salle de bains
Il se prépare à prendre une douche
Il regarde la douche
Il réfléchit
Il regarde encore par la fenêtre
Il fait demi-tour
Il se replonge dans son lit
Il éteint son portable
Il se rendort à poings fermés

Tous les jours il souffre
Tous les jours il se donne du mal
Tous les jours il mange mal
Tous les jours il fume trop
Tous les jours, il a de mauvaises pensées
Tous les jours, il vit mal
Tous les jours, il comprend mal
Il joue mal au foot
Il dîne mal
Il se tient mal
Il manque d’amour
Il y pense beaucoup
Il est amoureux
Il est content
Il se sent bien maintenant
Il reprend courage
Il dort bien

Mon enfance : innocence
école : difficile
je ne pense qu’à m’amuser
au collège je ne voulais pas apprendre
ensuite : délinquance et rebellion
prison à dix-sept ans
je ne pense qu’à l’argent
violence à répétition
je ne pense pas vraiment avec ma tête
je ne fais que ce que je veux
prison prison prison…
j’essaie de me ranger
mon passé me rattrape
je n’accepte pas les lois de la société
je suis avec vous aujourd’hui

Ce que vous voyez ce sont des gens heureux
Mais lassés de la routine qui les entoure
Ce que vous voyez c’est un ciel bleu
Mais ce ciel cache une tempête
Ce que vous voyez c’est un trésor inestimable
Mais il est insaisissable.

On vit, on parle, on a le ciel et les nuages
Sur la tête ; on se plaît aux livres des vieux sages ;
On lit Virgile et Dante ; on va joyeusement
En voiture publique à quelque endroit charmant,
En riant aux éclats de l’auberge et du gîte ;
Le regard d’une femme en passant vous agite ;
On aime, on est aimé, bonheur qui manque aux rois !
On écoute le chant des oiseaux dans les bois
Le matin, on s’éveille, et toute une famille
Vous embrasse, une mère, une soeur, une fille !
On déjeune en lisant son journal. Tout le jour
On mêle à sa pensée espoir, travail, amour ;
La vie arrive avec ses passions troublées ;
On jette sa parole aux sombres assemblées ;
Devant le but qu’on veut et le sort qui vous prend,
On se sent faible et fort, on est petit et grand ;
On est flot dans la foule, âme dans la tempête ;
Tout vient et passe ; on est en deuil, on est en fête ;
On arrive, on recule, on lutte avec effort ...
Puis, le vaste et profond silence de la mort !
Victor Hugo, Les Comtemplations

La mort : elle est présente partout où nous sommes, elle est là à nous regarder en attendant de nous tendre les bras.

Nuit
Nuages orage
Pluie foudre tempête
Mystère inconnu
Vent
Agression
Incompréhension immersion
Panique fuite peur
Cavale planque
Tremblement
Bruits
Tonnerre colère
Enervement sons délirants
Folie jalousie
Emprisonnement

 

Vous voyez une intervenante venue soumettre sa culture.
Moi je vois une complice d’un système autoritaire totalitaire castrateur.
Vous voyez un exutoire pour des pauvres gens.
Je vois un prétexte de vanter sa BA.
Vous voyez un geste humain une participation généreuse.
Je vois une vulgaire façade en papier avec des mots faussement encourageants.
Vous voyez des activités culturelles.
Je vois un quota à respecter, imposé par l’union européenne.
Vous voyez une femme fraîchement motivée par ce qu’elle dit.
Je vois une pathétique mascarade.
Vous voyez un intérêt profond pour ce qu’elle nous dit.
…Moi pas.

Ce que je voyais c’est que tu étais bon
Mais tu étais mauvais
Ce que je voyais c’était une personnalité
Mais tu en as deux
Et la mauvaise personne prend le dessus sur le bon
Je croyais que tu pouvais te contrôler
Mais tu ne peux pas te maîtriser
Pas de limites dans tes délires
Pas de pitié
Ni avec les humains ni avec les animaux
Ce que j’ai vu de toi
Ce que je sais maintenant
M’a fait prendre le large
Et avec le recul
Je ne le regrette pas
Tant pis pour toi.

Une scène de ménage une rupture
Un enfant qui court se cacher sous un lit
Une débandade une débâcle
Les soldats se sauvent
Le volcan éclate

Souvent
Tu penses

A tes souvenirs
Si lointains
Qui
Te rongent
Tout au fond
Du cerveau
Pourtant
Tu te
Portes aussi bien

J’ai été trop enfermé
Je ne comprends pas
Comment vivre dans la société comme ça
J’ai posé des questions à l’administration
Ils sont en train de me faire souffrir
Et eux ils vivent avec leurs familles
Je pose des questions aux médias
Pour qu’ils arrêtent de faire souffrir les gens comme ça

Mauritanie
Puis Mali
Ensuite le Maroc
Traverser la mer
Souffrance
La France
Papiers problèmes prison
Et aujourd’hui
J’attends l’argent
Pour fumer
Manque
Et demain
Autre chose
J’espère le travail

Vous voyez le soleil briller au-dessus de vos têtes mais en fait vous êtes à l’ombre
Vous voyez tous ces gens sourire mais en fait la moitié souffre
Vous voyez ce couple se disputer mais en vérité c’est qu’ils s’aiment

Aime celui qui t’aime, et sois heureuse en lui.
-- Adieu! -- sois son trésor, ô toi qui fus le nôtre!
Va, mon enfant béni, d’une famille à l’autre.
Emporte le bonheur et laisse-nous l’ennui!


Ici, l’on te retient; là-bas, on te désire.
Fille, épouse, ange, enfant, fais ton double devoir.
Donne-nous un regret, donne-leur un espoir,
Sors avec une larme! entre avec un sourire!
Victor Hugo, Les Comtemplations

Hier encore c’était juste l’hiver, le temps était gris, il faisait froid, la neige tombait, recouvrait le sol tout blanc. Les arbres étaient nus. On ramassait des feuilles mortes par terre.
Demain, on pourra voir mûrir et cueillir les premiers fruits rouges sur les arbres, faire des beaux paniers de cerises et des fraises à ras le sol.
C’est la plus belle saison de l’année.

Je rêve de liberté celle qui m’a été volée
Comme un oiseau blessé qui rêve de s’envoler
Après avoir été percuté par un plomb égaré
Je rêve de rencontrer l’âme soeur

Un bouquet suppurant d’odeurs m’enivre
Lorsque hier tant de parfums te faisaient vivre
Demain tu songeras à peine au goût de l’air qui te délivre
Te souviens-tu, quand, envahi d’une extrême vanité, je te plaisais.
Te souviens-tu quand, enseveli sous tes larmes, je me taisais.
Te souviens-tu quand, endormie sur moi, je n’avais que ton corps pour seul drap ;
Mon sanctuaire, tes bras, là où
Un bouquet de jambes en l’air

Elle se réveille
Elle se demande où elle est
Elle essaye de se rappeler la soirée d’hier
Elle ne s’en souvient pas…
Elle se lève…Trop vite
Elle a des vertiges
Elle ne reconnaît pas la personne dans ce lit
Elle cherche la salle de bain
Elle se lave
Elle se sèche
Elle se rhabille
Elle prend les 100 balles sur la table de chevet
Elle se prépare
Elle prend ses cliques
Elle prend ses claques
Elle se barre

Elle fume.
Elle regarde la télé.
Elle fume.
Elle se fait une tisane.
Elle fume.
Elle fait le ménage.
Elle fume.
Elle enlève ses bijoux.
Elle fume.
Elle prend son bain.
Elle fume.
Il faut qu’elle s’arrête.
Mais elle fume.